« …CINQ PAINS D’ORGE ET DEUX POISSONS… »

Jean 6, 9

 

Il est des épisodes bibliques et des passages d’évangiles tellement connus qu’ils appartiennent désormais au patrimoine culturel du monde et à l’imaginaire collectif. C’est, sans nul doute, au chapitre de ces trésors qu’il conviendrait d’inscrire cette page de l’Évangile selon Saint Jean, duquel est extrait le verset susmentionné. En effet, le chapitre 6 fait partie de l’ensemble qu’on appelle le  livre des signes. Parmi ces derniers, les guérisons de nombreux malades et « la multiplication des pains. »

Le contexte géographique est  celui des côtes de la mer de Galilée. La précision liturgique concerne celle des jours qui précèdent la pâque juive (verset 4). L’activité pastorale de Jésus est la prédication de la Bonne nouvelle du Royaume de Dieu, le Père.

Jésus est le personnage central du récit. C’est bien lui qui prend l’initiative, après une longue journée de prédication, de poser la question aux apôtres : « Où pourrions-nous acheter du pain pour qu’ils aient à manger ? » À cette question, l’apôtre Philippe, le pragmatique, fort de ses calculs, répondit en ces termes : « Le salaire de deux cents journées ne suffirait pas pour que chacun ait un petit morceau. » (verset 7b) C’est alors que, l’un des disciples, André, le frère de Simon Pierre, dit à Jésus : « Il y a là un garçon qui a cinq pains d’orge et deux poissons, mais qu’est-ce que cela pour tant de monde ? » (6,9) Comme bien souvent sous la plume de Saint Jean, le texte est truffé de références bibliques  en filigrane. Voici quelques-unes :

DÉCRYPTAGES :

Saint Augustin écrivait, à juste titre, ces mots dans l’un de ses sermons : « le Nouveau Testament était latent dans l’Ancien Testament : maintenant  l’Ancien dans le Nouveau est patent. » (S/160 N6) Cette pensée du saint philosophe et théologien de Carthage, confirme bien, s’il en était encore besoin, la nécessité, pour mieux approcher les textes de la Bible et éviter de graves  contresens, de  tenir compte des éclairages que les écrits  se font entre eux. Ainsi le passage et le verset que nous proposons à votre méditation, comportent-ils plusieurs  caractéristiques :

Il s’agit d’un acte prophétique : car en multipliant le pain pour nourrir la foule,  Jésus fait un geste qui rappelle et accomplit les promesses grandioses du Seigneur Dieu à son peuple par son prophète Isaïe qui déclare : « En ces jours-là, le Seigneur Dieu de l’univers, préparera pour tous les peuples un festin sur sa montagne, oracle du Seigneur. » (Is 25,6-7)

Il s’agit également d’une œuvre de miséricorde: La longue tradition judéo chrétienne énumère jusqu’à quatorze différentes œuvres de miséricorde parmi lesquelles, donner à manger à celui ou celle qui a faim et à boire à ceux  qui ont soif. (Mt25, 35-37) Ainsi en est-il de notre Père Abraham dans le célèbre épisode de la visite au Chêne de Mambré. (Gn18, 1ss) C’est aussi l’exemple très connu du prophète Élie nourri par la veuve très  pauvre de Sarepta qui n’avait plus qu’un peu de farine et de l’huile dans sa réserve. Et pourtant selon l’oracle du prophète : «jarre de farine ne s’épuisa point et vase d’huile ne se vida point. » (1R7-17) Mais le plus spectaculaire et le plus significatif des miracles dans le Premier Testament  qui nous éclaire sur l’œuvre de Jésus, c’est le miracle du prophète Élisée : On l’appelle aussi « la multiplication du pain ». L’épisode rapporte qu’un homme de Baal-Shalisha offrit à l’homme de Dieu les prémices de sa récolte : « Vingt pains d’orge et du grain frais en épi. » Mais le prophète Élisée ordonna : « Offre aux gens et qu’ils mangent. » Mais le serviteur répondit : « Comment servirai-je cela à cent personnes ? » Mais Élisée répliqua selon la promesse du Seigneur : « On mangera et on en aura de reste. » Et c’est bien ce qui arriva. (2R4, 42-44)

 Les contemporains de Jésus avaient vu le signe de la multiplication des pains et du poisson. Pour celles et ceux qui sont attentifs et sensibles aux signes de la présence de Dieu, c’était la manifestation de l’esprit du prophète Élie et Élisée.

Enfin, il s’agit d’un acte messianique c’est-à-dire salvifique. Jésus est la manifestation, la réalisation incarnée du psaume 22 qui chante : « Le Seigneur est mon berger, je ne manque de rien… » Au-delà de son ministère pastoral, Jésus démontre en nourrissant les foules, la puissance de la grâce de Dieu. Il vient dévoiler la surabondance de la bonté, de la générosité de Dieu son Père qui l’a envoyé pour sauver l’humanité. (Jn3, 16) La richesse de sa grâce pour le corps, par le pain, pour l’esprit et l’âme par la Parole et les sacrements. D’ailleurs, ce chapitre 6 de l’évangile selon Saint Jean contient à la fois la multiplication du pain et la prédication sur le pain de vie. La première sert de prélude à la deuxième. Par ailleurs notre méditation serait partielle, si nous n’évoquions les poissons.

 

SYMBOLE ET SIGNIFICATIONS :

L’évangile précise bien qu’il y avait cinq pains mais aussi deux poissons. Il n’est pas superflu de dire que la symbolique du poisson est au cœur de nombreuses applications et interprétations dans le domaine de l’astrologie, de l’anthropologie des religions et surtout de  la spiritualité des peuples du monde entier : Symbole de vie abondante et de fécondité prodigieuse en raison du nombre infini de ses œufs, le poisson est devenu l’emblème de la vie, de la sagesse et de la chance, de la liberté, en général. Mais dans la spiritualité catholique, les premiers chrétiens représentaient volontiers le Christ par l’emblème du poisson. En effet, le mot grec « Ikhthys » qui désigne poisson, a servi d’idéogramme aux Chrétiens. Ainsi  chacune de ses lettres signifiait : Ièsous Khristos Theou Yios Sôtèr. Ce qui se traduit,  dans l’ordre par : » Jésus Christ de Dieu Fils Sauveur. » Le symbolisme du poisson sera enrichi progressivement au fil des siècles dans l’iconographie chrétienne. Comme le Christ en a mangé après la résurrection (Luc 24, 42), certains y ont vu le signe du repas eucharistique et le symbole de la fraternité. Le théologien Tertullien voit dans le poisson la métaphore du baptisé libre et libéré. (Traité du Baptême)  Enfin les artistes chrétiens ont enrichi le symbolisme du poisson en y ajoutant d’autres éléments. S’il porte un vaisseau sur son dos, il représente le Christ et l’Église. (Luc 5,10) Ce symbole a ainsi permis de sauver les Chrétiens des catacombes : car il était le signe de leur identité, la force de leur unité, la grâce de leur communion, le code de leur communauté. En mettant en valeur ses deux éléments essentiels, (le pain et le poisson), Jésus invite tout homme et toute femme de bonne volonté à accueillir le don de la vie et à en prolonger le rayonnement dans son environnement. Par la solidarité et la générosité, la créativité, la frugalité et la spiritualité (Le pain). Par le travail et l’engagement, par l’espérance et la confiance. La liberté, l’amitié, la fraternité (Poisson) Toutes vertus  qui célèbrent l’essentiel : LA VIE

 

Cela ne vaut pas grande chose

Se disent entre eux les Apôtres.

Mais pour se donner aux Autres

Jésus agit en virtuose.

 

Le pain va courir de leurs mains

Pour aller nourrir toutes faims.

Sous leurs yeux, quelles merveilles

Jusqu’à ras bord des corbeilles ?

 

D’où vient donc leur indigence

Si ce n’est de pain, de poisson ?

Ce qu’ils n’avaient pas à foison

C’est l’audace de l’espérance.

 

Cela ne vaut pas grande chose

Se disent entre eux les Apôtres.

Mais pour se donner aux Autres

Jésus agit en virtuose.

 

Le pain va courir de leurs mains

Pour aller nourrir toutes faims.

Sous leurs yeux, quelles merveilles

Jusqu’à ras bord des corbeilles ?

 

D’où vient donc leur indigence

Si ce n’est de pain, de poisson ?

Ce qu’ils n’avaient pas à foison

C’est l’audace de l’espérance.

Edito d'Avril.
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