Edito du mois de Février.
09 mars 2019RÉVÈLE-MOI TON NOM, JE TE PRIE…» Gn32, 30
La nuit faisait déjà descendre son rideau de ténèbres profondes sur les jours et les étapes du pèlerinage de Jacob allant à la rencontre redoutée de son frère Esaü.(Gn32,7) Avec une offrande de «deux cents chèvres, vingt boucs, deux cents brebis et vingt béliers, trente chamelles laitières avec leurs petits, quarante vaches et dix taureaux, vingt ânesses et dix ânes» (verset 15) ,Jacob envoya vers ce dernier des négociateurs et des messagers de paix.
Cette nuit-là, il fit passer à toute sa famille ainsi qu'à ses servantes, l'affluent de la rive orientale du Jourdain qu'on appelle le «gué du Yabboq.» (verset 23) Au cœur de cette nuit-là, un être mystérieux surgit et engagea une lutte corps à corps avec Jacob. Et ce, jusqu'à l'aurore du jour suivant. Ce combat s'est achevé pour Jacob avec une fêlure au col de fémur; ajouté à un changement de nom: «On ne t'appellera plus Jacob mais Israël.» (Gn32, 29)
Tel est le contexte assez complexe de la naissance de cette question sous forme de supplication que nous vous proposons en méditation: «Révèle-moi ton nom, je te prie.» Selon la Traduction Œcuménique de la Bible (TOB), ce verset se lit: «De grâce, indique-moi ton nom.» Nous avons choisi cette traduction susmentionnée car le verbe révéler nous paraît plus ajusté à l'idée d'un dévoilement progressif et d'une réalisation, ou encore d'une maturation inscrite dans le temps.
LE VERSET ET NOTRE TEMPS
Il n’est pas rare d’entendre de nos jours des débats enflammés ou des commentaires passionnants sur la crise ou les crises actuelles de nos sociétés postmodernes. Nos recherches les plus fournies, nos réflexions les plus profondes et nos découvertes les plus spectaculaires sont, elles-mêmes, présentées comme des avancées pour résoudre les énigmes concernant nos origines et notre véritable identité. Alors, on en vient à parler de quête d’identité ; de crises d’identité, sur le plan national ou international. Il faut avouer que le fait de connaître son identité est à la fois primordial et existentiel. Cela peut éviter de se prendre pour ce qu’on n'est pas pour ne pas se méprendre sur ce qu’on est réellement. Toutes choses qui peuvent éclairer ce que l'on cherche à devenir, ce que l'on désire bâtir et surtout comment sortir des fusions et confusions malheureuses.
LE VERSET EN SES RESONNANCES BIBLIQUES
Toute la Bible est traversée par cette problématique du nom et de son importance. En effet, pour les auteurs bibliques, le nom, c'est toute la personne dans sa réalité profonde et féconde, son être dans toutes ses significations et contradictions mais également ses missions et incompréhensions. Il n'est pas nécessaire de rappeler encore ici le célèbre épisode fondateur de la Révélation du Nom de Dieu dans le buisson ardent. (Ex3, 13-15) Il nous est bon de nous souvenir que Dieu a changé le nom d'Abram en Abraham. De Saraï en Sara. (Gn17, 5/17,15)Jésus, lui-même, en choisissant les apôtres avait donné à Simon, le surnom de Pierre et aux frères Zébédée, le surnom de Boanerguès, c'est-à-dire : « fils du tonnerre.» (Marc3, 13-19/ Luc6, 12-16) Qui peut oublier la joie mystique et spirituelle de Jésus, au retour de mission des Apôtres, lorsqu'il leur déclarait: «Ne vous réjouissez pas de ce que les esprits vous sont soumis mais réjouissez-vous de ce que vos noms sont inscrits dans les cieux.» (Luc10, 20) Autrement dit, les œuvres accomplies par la puissance du nom de Jésus, ont une portée éternelle. Bien plus encore, le nom de Jésus est présence agissante de Dieu dans sa miséricorde pour les malades et les faibles. Il est le seul nom qui sauve les hommes et femmes. (Actes4, 8-12) Voilà pourquoi les textes de la sagesse invitent inlassablement à bénir le nom du Seigneur. (Ps 112; Si51, 8-12) Cette approche du nom et sa force trouvent en Jésus une dimension nouvelle, lorsque, dans son ultime prière, il déclare: «Père saint; garde-les en ton nom que tu m'as donné, pour qu'ils soient un comme nous sommes un. » (Jn17, 6.11-12) Le nom de Dieu serait-il un trésor, un héritage? Toujours est-il qu'il devient pour tous les croyants ce qu'ils ont en partage. D'ailleurs cela donne à l'Apôtre des Nations, l'occasion de définir l'Eglise en ces termes: «Vous, les fidèles qui êtes par appel de Dieu, le peuple saint avec tous ceux qui, en tout lieu invoquent le nom de notre Seigneur Jésus Christ, leur Seigneur et le nôtre.» (1Co1-2) Nous comprenons alors aisément pourquoi, l'Eglise célèbre toujours ses sacrements au nom de Jésus, au nom de son Père et au nom l'Esprit Saint.
LE VERSET EN SES LUMIERES SPIRITUELLES.
Premièrement, il n'est pas anodin de faire remarquer que, dans le récit, le changement de nom imposé à Jacob est advenu à l'aurore du jour suivant. Cela nous rappelle le baptême et les vœux de vie religieuse. Ils inaugurent une vie nouvelle, un jour nouveau, une vocation nouvelle, une nouvelle mission et l'appartenance à une nouvelle communauté d'église. Un changement de nom révèle aussi un passage. Dans le cas de Jacob, c'est le Seigneur qui l'appelle à grandir et à réaliser sa destinée, à faire le passage de la haine à l'amour. Les Chrétiennes et Chrétiens reçoivent leur nom et leur dignité de filles et fils de Dieu, du Nom même de Celui qu'on appelle Christ: «l'Oint de Dieu», Jésus, le Fils unique du Père et le Frère aîné sur qui repose l'Esprit Saint dans sa plénitude de charismes, de dons et de fruits:«amour,joie,paix,patience,bonté,bienveillance,foi,douceur,maîtrise de soi.» (Ga5, 22)L'adhésion réelle à ce changement fonde une fraternité dont Jésus est le garant véritable. (Mt12, 46/Lc8, 19)
Deuxièmement, nous pouvons nous laisser éclairer par le fait que Jacob a dû lutter durant ce passage pour accéder à ce nom. Pour nous, il est important de redire que vivre sa foi chrétienne est loin d'être un long fleuve tranquille. Nous le savons bien. Être chrétien, ce n'est pas seulement avoir été baptisé depuis longtemps et avoir reçu les autres sacrements. Bien au contraire, la prise de conscience de cette adhésion de foi nous engage à un combat spirituel et une détermination réactive. Ici, les mots de saint Paul deviennent lumineux dans ce cheminement: «Armez-vous de force dans le Seigneur...Saisissez donc l'armure de Dieu, afin que, dans mauvais jours, vous puissiez rester debout. A la taille, la vérité pour ceinturon, avec la justice pour cuirasse, et comme chaussures aux pieds, l'élan pour annoncer l'Evangile de la paix. » (Eph6, 10-15)
Troisièmement, dans sa question à l'être mystérieux, Jacob demande, cherche et supplie. Le Nom de Dieu nous indique un chemin de prières, de supplication, d'adoration, d'offrande. Voilà pourquoi, la prière que Jésus nous a enseignée, invoque le Saint Nom du Père, dans l'Esprit Saint. Par ce nom, nous sommes exaucés car Jésus porte le seul nom qui, au ciel, sur Terre et dans l'abîme, fait éclater la louange à la gloire de Dieu. (Ph2, 10-11)