Dans la salle commune, il n’y avait pas de place pour eux. Quand arrive le moment où Dieu s’approche tellement de l’humanité qu’il se fait l’un de nous, quand vient l’heure où Dieu prend un si grand soin de l’homme qu’il assume toute sa misère, il n’y a pas de place pour lui. Le monde est si occupé de lui-même, tellement rempli de lui-même et affairé dans ses innombrables soucis, qu’il est incapable de faire une place à Dieu qui vient comme un pauvre, un petit. Il en va du Royaume des Cieux comme d’un roi qui fit un festin de noces pour son fils. Il envoya ses serviteurs convier les invités aux noces, mais eux ne voulaient pas venir… et ils s’en allèrent, qui à son champ, qui à son commerce.
Quelle est cette place, ce lieu, où Jésus naît en cette nuit de Noël ? Noël serait-il seulement une belle histoire sans lieu réel où s’accomplir aujourd’hui ? Le mot grec employé par l’évangéliste est celui de topos : il n’y avait pas de « topos » pour accueillir l’enfant… Noël ne serait-il donc qu’une utopie ? Que devons-nous faire, ce soir, en cette nuit, pour que Dieu trouve une place au milieu de nous et dans notre cœur, comme il l’a trouvée dans le sein de Marie et le cœur de Joseph, au milieu des bergers et des mages ?
Il me semble qu’il y a au moins deux conditions, pour que Dieu trouve en nous, quand il vient, une place pour l’accueillir : tout d’abord faire grandir le désir de sa venue, puis reconnaître ce qui nous est commun à tous, dans cette fameuse salle commune de Bethléem. Deux moyens possibles pour mieux fêter Noël, pour que la joie de Noël soit plus vraie, plus profonde et plus durable en nos vies.
En premier lieu, faire grandir le désir de sa venue. C’est déjà ce que nous avons fait, avec toute l’Eglise, durant ce temps liturgique de l’Avent. L’Avent est un moment particulièrement beau dans la liturgie chrétienne, le temps de l’attente, de la préparation et de la croissance du désir. Parmi les souvenirs heureux de notre enfance, la joie d’attendre Noël tient souvent une bonne place. « Si vivre, c’est attendre, alors j’ai bien vécu », chantait aussi Pierre Bachelet, sur des paroles de Jean-Pierre Lang, à la fin des années 80. Certains s’en souviennent… Si nous devons retenir une chose du temps de l’Avent, c’est bien celle-ci : entre la venue du Messie parmi les hommes, il y a 2000 ans et sa venue dans la gloire, lors de la Parousie, à la fin des temps, une autre venue de Dieu se réalise, celle qu’il vient accomplir dans chacune de nos vies, dans nos cœurs. Et l’Evangile est là pour nous apprendre aujourd’hui à attendre la venue du Seigneur qui vient. Jésus nous avertit : là où est votre trésor, là est votre cœur. Le Seigneur veut venir, mais où se tient-il, notre cœur ? Se tient-il dans le désir de Dieu, dans le désir d’être unis à lui, de l’aimer, de le connaître, de le servir dans nos frères, de le rencontrer dans la prière comme dans l’accueil des plus petits ? Ou bien notre cœur est-il ailleurs, parce que ce qui a du prix à nos yeux n’est pas Dieu, mais toute autre chose que lui, tout ce que nous avons acheté et que nous voulons essayer ! Frères bien-aimés, je crois que le Seigneur attend chacun de nous, qu’il veut faire du neuf dans chacune de nos vies, que nous soyons jeunes ou âgés. Nous sommes faits pour vivre une communion d’amour avec le Seigneur. Et cette rencontre n’est pas seulement pour après la mort, dès aujourd’hui elle peut avoir lieu. Il faut s’attendre à Dieu. Soudain viendra dans son Temple le Seigneur que vous cherchez, disait le prophète Malachie. Donne-nous Seigneur de croire que tu peux encore venir chez nous. Vous vous souvenez peut-être de ce beau film russe de Pavel Lounguine, L’île, qui raconte l’histoire d’un moine vivant dans un monastère sur une île au milieu d’une immense étendue déserte, au nord de la Russie, mais pourtant enfermé en lui-même, toute sa vie durant, dans la culpabilité d’avoir tué un homme. Un moine à qui Dieu donne pourtant d’étonnants dons de prophétie et de guérison. Et il attend la miséricorde de Dieu, inlassablement. Au terme de sa vie, à l’heure où il ne l’attend plus, le Seigneur vient le visiter, le dénouement a lieu. Je ne vous raconte pas comment, si vous voulez voir le film… Illuminé, le moine dit alors : « les anges chantent dans mon âme. » Pourquoi les anges ne chanteraient-ils pas dans votre âme, à vous aussi, frères et sœurs bien-aimés, en cette nuit de Noël ?