Sagesse séculière, selon St François d’Assise.
09 févr. 2024Sagesse séculière, selon St François d’Assise
(extrait de « La sagesse d’un pauvre, Eloi Leclerc)
François et Frère Léon arrivèrent bientôt en vue de la petite ferme. A peine entrés dans la cour, ils furent accueillis par la femme. Debout sur le seuil de sa maison, elle semblait les attendre. Dès qu’elle les aperçut, elle vint vers eux. Son visage rayonnait.
- Ah mon frère, dit-elle en s’adressant à François d’une voix émue, je pensais bien que vous viendriez ce soir. Je m’attendais à votre visite. Si vous saviez comme je suis heureuse ! Mon petit va beaucoup mieux. Il a pu prendre quelque nourriture ces derniers jours. Je ne sais comment vous remercier.
- Dieu soit loué ! s’écria François. C’est Lui qu’il faut remercier.
[…] Visiblement l’enfant avait repris vie. Sur ces entrefaites, le grand-père entra dans la maison.
- Bonsoir mes frères, leur dit-il. Que vous êtes gentils d’être venus nous voir ! Nous étions bien inquiets au sujet du petit. Mais voilà que tout a l’air de s’arranger.
- J’en suis très heureux et j’en remercie le Seigneur, dit François.
- Ah ! Il faudrait toujours le remercier, repartit le vieillard avec calme et gravité. Même quand tout ne s’arrange pas comme nous le voudrions. Mais c’est difficile. Nous manquons toujours à l’Espérance. Quand j’étais jeune, je demandais parfois des comptes à Dieu, lorsque les choses n’allaient pas comme je le désirais. Et si Dieu faisait la sourde oreille, je me troublais, je m’irritais même. A présent, je ne demande plus aucun compte à Dieu. J’ai compris que cette attitude était enfantine et ridicule. Dieu est comme le soleil. Qu’on le voit ou qu’on ne le voit pas, qu’il apparaisse ou qu’il se cache, il rayonne. Allez empêcher le soleil de rayonner ! Eh bien ! on ne peut davantage empêcher Dieu de ruisseler de miséricorde !
- C’est bien vrai, dit François. Dieu est le bien et il ne peut vouloir que le bien. Mais, à la différence du soleil qui rayonne sans nous et par-dessus nos têtes, il a voulu que sa bonté passe par le cœur des hommes. C’est là quelque chose de merveilleux et aussi de redoutable. Il dépend de chacun de nous, pour notre part, que les hommes éprouvent ou non la miséricorde de Dieu. Voilà pourquoi la bonté est une si grande chose.
[…] Puis le père rentra de son travail […] Il invita ses hôtes à partager leur repas. Celui-ci fut des plus simples : une grosse soupe et un peu de « verdura ». Une nourriture de pauvres, telle que François l’aimait. […] Après le repas, toute la famille s’assit sur l’herbe sous le pommier. Et les regards se fixèrent sur François. Il y eut un moment de silence et d’attente. Puis le père de famille, prenant la parole, dit : Ma femme et moi, nous nous demandons depuis quelque temps ce que nous pourrions faire pour vivre d’une manière plus parfaite. Nous ne pouvons, bien sûr, quitter nos enfants pour mener la vie des frères. Comment faire ?
- Il vous suffit d’observer le Saint Évangile dans l’état même où le Seigneur vous a appelés, répondit simplement François.
- Mais comment vivre cela pratiquement ? demanda le père.
- Le Seigneur dans l’Évangile, répondit François, nous dit, par exemple : « Que le plus grand parmi vous soit comme le plus petit, et le chef comme celui qui sert. » Eh bien cette parole vaut pour toute communauté, y compris la famille. Ainsi le chef de famille, à qui l’on est tenu d’obéir et qui est regardé comme le plus grand doit se comporter comme le plus petit et se faire le serviteur de tous les siens. Il prendra soin de chacun d’eux avec autant de bonté qu’il voudrait s’en voir témoigner s’il était à leur place. Il sera doux et miséricordieux à l’égard de tous. Et devant la faute de l’un d’eux, il ne s’irritera pas, mais en toute patience et humilité, il l’avertira et le supportera avec douceur. C’est cela vivre selon le Saint Évangile. Il a vraiment part à l’esprit du Seigneur, celui qui agit de la sorte. Il n’est pas nécessaire, comme vous le voyez, de rêver à de grandes choses. Il faut toujours revenir à la simplicité de l’Évangile. Et surtout prendre au sérieux cette simplicité.
- « Autre exemple, poursuivit François : le Seigneur dit dans l’Évangile : “Bienheureux ceux qui sont pauvres dans l’âme, car le royaume des cieux est à eux. ” Eh bien ! qu’est-ce donc qu’être pauvre dans l’âme ? Il y en a beaucoup qui s’éternisent en prières et en offices et qui multiplient contre leur corps abstinences et macérations. Mais pour un seul mot qui leur semble un affront à l’égard de leur corps, ou pour une bagatelle qu’on leur enlève, les voilà aussitôt scandalisés et troublés. Ceux-là ne sont pas pauvres dans l’âme ; car celui qui a vraiment une âme de pauvre se hait lui-même et chérit ceux qui le frappent sur la joue.
- Il serait facile de multiplier les exemples et les applications. D’ailleurs dans l’Évangile tout se tient. Il suffit de commencer par un bout. On ne peut posséder vraiment une vertu évangélique sans posséder toutes les autres. Et qui blesse l’une, les blesse toutes et n’en possède aucune. Ainsi, il n’est pas possible d’être vraiment pauvre selon le saint Évangile sans être en même temps humble. Et nul n’est vraiment humble, s’il n’est soumis à toute créature, et d’abord et par-dessus tout à la sainte Église, notre mère. Et cela ne peut aller sans une grande confiance dans le Seigneur Jésus qui n’abandonne jamais les siens, et dans le Père qui sait ce dont nous avons besoin. L’Esprit du Seigneur est un. C’est un esprit d’enfance, de paix, de miséricorde et de joie.
François parla encore longtemps sur ce thème. Pour ces gens simples et ouverts, l’écouter était un vrai bonheur. Mais la nuit commençait à descendre. […]
François et Léon songèrent alors au retour ; ils se levèrent et prirent congé de leurs hôtes.