Vivre et Croire, de Michel Hubaut, ofm.

 

Il ne faut pas se le cacher, nous vivons une mutation socioculturelle de grande amplitude qui brouille nos points de repère. Situation paradoxale : alors que les Eglises chrétiennes, pour ne parler que d’elles, connaissent une crise de communication et subissent une certaine érosion, un grand nombre de nos contemporains sont en quête de « spiritualité », plus ou moins sauvage, en dehors des religions traditionnelles et même sans Dieu ! […]

 

François d’Assise ou le pari de la foi

Dans ce paysage bouleversé, les grandes figures chrétiennes du passé peuvent-elles encore nous aider à tracer notre propre chemin ? L’itinéraire évangélique de St François d’Assise peut-il encore nous éclairer ?

La réponse est souvent donnée par ces hommes et ces femmes, jeunes et moins jeunes, intellectuels ou manuels, qui ont rencontré St François sur leur route et qui ont entendu, à travers ses écrits, un appel vivant à l’aventure de la foi.

Il est clair que nous n’avons pas à « imiter » St François. Chaque génération doit inventer sa « voie » appropriée à son époque et à sa culture. Mais les grandes intuitions évangéliques du pauvre d’Assise sont si fortes, qu’elles nous touchent encore et nous stimulent à devenir, pour nos frères et sœurs du 3ème millénaire, des « paroles de vie », des signes d’espérance. […]

A chaque grande mutation culturelle, les disciples de Jésus se sont posés – comme François et ses frères – les mêmes questions : « Qu’est-ce que cela signifie pour nous aujourd’hui de vivre l’Evangile ? » Le moment est venu de faire le point personnellement et communautairement, et de se dire : « Aujourd’hui où en sommes-nous ? » Non pour gémir ou se culpabiliser, mais pour aller plus loin, pour redresser ce qui a pu dévier, réintégrer ce qui parfois a été oublié, rééquilibrer l’ensemble des éléments fondamentaux de notre vocation chrétienne. François nous invite toujours à « commencer à nous convertir » aux mystères insondables de la foi.

 

Passer de mes projets à celui de Dieu

Le « chemin » de François d’Assise est celui d’un croyant qui prend sa foi au sérieux. Il nous invite à passer d’une « religion » aseptisée à la redécouverte d’un Evangile révolutionnaire qui conteste l’étroitesse de notre horizon et bouleverse la sagesse de ce monde.

Si François n’a pas été affronté aux mêmes interrogations que ce 3ème millénaire, il a quand même dû inventer « un chemin », une nouvelle manière de vivre l’Evangile dans une société en pleine mutation et au sein d’une Eglise qui ne savait plus « communiquer » avec ses contemporains.

Une Eglise qui, de plus, est menacée par une vague d’hérésies sans précédent, déferlant depuis la Provence jusqu’au sud de l’Italie, et qui défient la papauté jusqu’au cœur de Rome. Une Eglise discréditée par une partie du clergé et des évêques aux mœurs douteuses ou trop préoccupés par les affaires temporelles. Si les gens simples se jettent dans les superstitions et les sectes parfois absurdes et bêtifiantes, c’est qu’ils ne savent plus à qui ou à quoi s’accrocher.

 

En 1202, au cœur de ce bouillonnement social et religieux, François a 20 ans ! Riche, habile en affaires, de compagnie et de conversation agréables, il a tout pour séduire, réussir et éblouir. Il ne s’en prive pas. Facilement excentrique, il aime à se faire remarquer.

Ambitieux, il rêve de prendre la vie à pleines mains. Rien de plus sain. Les honneurs militaires, la gloire et la renommée hantent ses pensées. Mais le rêve de Dieu sur l’homme est encore plus grand. Quelques échecs, un an de prison, un an de maladie le frappent durement. Son rêve se fissure. Un grand vide le saisit. Il a soif d’autre chose. Mais de quoi ? La foi est d’abord une interrogation ! L’Esprit le rend insatisfait de lui-même. Carrière militaire et négoce ont perdu leur attrait. Il prend du recul. Son ambition s’intériorise. Là commence le combat de la foi qui le marquera pour la vie.

« Sous la mouvance d’un esprit nouveau et encore inconnu, il priait son Père dans le secret. En son âme se livrait un combat terrible. Continuellement lui venaient à l’esprit mille pensées contraires. » (1 Celano 6)

 

Passer de ses ambitions personnelles au dessein de Dieu, n’est pas une mince affaire ! Il pressent bien un nouveau chemin de liberté, une nouvelle direction capable d’assouvir sa fringale de vie. Mais l’homme a toujours peur de renoncer à ses « projets » immédiats pour entrer dans l’avenir de Dieu. Peur surtout de ne pas tenir le coup dans cette nouvelle voie que l’Esprit lui fait entrevoir.

 

Creuser sa foi comme un puits dans le désert

François découvre que la foi est une flamme bien fragile dans la nuit. Il va entrer dans la foi comme on creuse un puits dans le désert, comme on laboure un champ pour trouver un trésor. Il n’oubliera jamais cette 1ère étape où il a découvert que l’aventure évangélique commence toujours par une déchirure. Le « vieil homme » replié sur lui-même entend ses os craquer, quand il apprend à se tenir debout, libre dans la lumière de Dieu.

Comment accueillir la gratuité des dons du Seigneur sans laisser glisser de nos pauvres mains nos pseudo richesses ? Ces 1ères années seront décisives pour l’avenir du pauvre d’Assise. L’Evangile lui fait mal comme le bistouri du chirurgien. La paisible homélie du dimanche qui berce le demi-sommeil d’une assemblée devient Evangile de feu !

Le contraire de la peur est bien la foi. Avoir le courage de tout risquer. Renoncer au désir de s’approprier sa vie, ses dons et ses biens, de conduire sa vie tout seul, pour s’abandonner au « bon plaisir de Dieu », entrer dans son projet d’amour pour nous… c’est tout le mystère de la foi. François illustre ce pari de la foi. On ne peut rien comprendre à sa vie, si l’on oublie ce fondement initial. Sa conversion est le désir de l’homme qui s’ouvre au Désir de Dieu.     

« N’ayons pas d’autre désir, d’autre volonté, d’autre plaisir et d’autre joie que notre Créateur, Rédempteur et Sauveur, le seul vrai Dieu, qui est le Dieu plénier. […] Désormais donc plus d’obstacle, plus de barrière, plus d’écran ! Partout, en tout lieu, à toute heure et en tout temps, chaque jour et sans discontinuer, tous, croyons d’une foi et humble et vraie, gardons dans notre cœur […] le Très-Haut Souverain Dieu éternel […] tout désirable plus que tout autre bien. » (1ère Règle 23,9-10)

 

Dieu n’a plus d’espace « réservé » dans un culte hebdomadaire. Il a envahi tout son espace et tout son temps d’homme. C’est cela croire. Et François reviendra sans cesse sur cette conviction : « garder sa foi ». Chercher Dieu partout et toujours. Il sait combien, en nous, autour de nous, tout fait largement obstacle à cette présence. Croire, c’est franchir bien des barrières, bien des écrans pour oser cet acte de confiance. Au terme de ce parcours à obstacles, François est prêt. Il peut s’écrier en vérité :

« Désormais je puis dire avec assurance : Notre Père, qui es aux cieux, puisque c’est à lui que j’ai confié mon trésor et donné ma foi. »  (Legenda Major 2,4)

 

Désapproprié de tout projet humain déterminé d’avance, libéré de toute fausse sécurité, il est désormais disponible entre les mains du Père. La radicalité évangélique de sa vie est ce pari de la paternité de Dieu. Il répétera souvent à ses frères qui s’engageront dans la même voie :

« Mais nous, nous avons rompu avec le monde ; nous n’avons plus rien d’autre à faire que de nous appliquer à suivre la volonté de Dieu et à lui plaire. Gardons-nous bien de la malice et de la subtilité de Satan qui veut empêcher l’homme de tenir son esprit et son cœur tournés vers le Seigneur, aveugler le cœur de l’homme par les affaires et les soucis du monde.

Soyons donc tous très vigilants, frères : que l’attrait d’une récompense à obtenir, d’un travail à faire ou d’un avantage quelconque ne vienne pas pervertir et disputer au Seigneur notre esprit et notre cœur.

Dans la sainte charité qu’est Dieu, je prie tous mes frères de s’employer du mieux qu’ils pourront à supprimer tout empêchement, à rejeter tout souci, et tout tracas pour servir, aimer, adorer et honorer le Seigneur dans la pureté de leur cœur et de leur esprit car c’est là ce que lui-même désire par-dessus tout. Faisons-lui donc toujours, en nous, un temple et une demeure. Adorons-le d’un cœur pur. »

(1ère Règle 22)   

 

Voilà le cœur de la spiritualité de François : une foi éveillée et vigilante. Au-delà des idéologies, des spots publicitaires sur le bonheur, demeurer disponible à l’appel de Dieu, à l’Esprit du Seigneur. Désencombrer nos sources intérieures. Ecouter Dieu. Chercher Dieu. Se laisser aimer et façonner par Dieu. Se laisser à nouveau conduire dans la nuit de l’espérance qui a pris visage en Jésus Christ. Se réveiller de notre torpeur spirituelle.

 

Le projet évangélique de François s’enracine dans la foi. Celle qui croit que Dieu est une puissance d’amour qui ne menace pas ma liberté mais me structure, me construit et m’accomplit. Que seul cet Amour divin humanise et divinise l’homme.

 

Pour conclure ce chapitre relisons la prière que François a souvent récitée, au cours de sa longue quête de la vérité dans la nuit. Elle illustre l’essentiel de sa démarche de foi :

« Dieu, Très-Haut et glorieux, viens éclairer les ténèbres de mon cœur ;

donne-moi une foi droite, une espérance solide et une parfaite charité ;

donne-moi de sentir et de connaître, afin que je puisse l’accomplir, ta volonté sainte qui ne saurait m’égarer. Amen ! »

(Prière de saint François devant le crucifix de l’église de Saint-Damien.)

                    

« La Joie de Vivre l’Evangile à la suite de François d’Assise »

de Michel Hubaut – Editions Franciscaines.

(Extraits de la page 11 à p 22)

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