Une méditation exhortation de Monseigneur Habert durant la session des prêtres à Lisieux pour la transformation pastorale.
04 mars 2024Une méditation exhortation de Monseigneur Habert durant la session des prêtres à Lisieux pour la transformation pastorale.
Aujourd’hui nous allons surtout regarder notre posture pastorale, notre agir pastoral, comme prêtres diocésains.
Comment déployer notre vocation et notre mission spécifique et indispensable de pasteurs ?
- Nous savons qu’il y aura plusieurs figures de ministères qui vont se déployer : curé, prêtres coopérateurs, prêtres retirés, prêtres accompagnateurs, aumôniers…
- Nous savons aussi que la synodalité, la coresponsabilité, le travail avec les laïcs, et les diacres, les religieux (ses) seront au rendez-vous de notre agir sacerdotal.
Pour tout cela nous ne partons pas de rien. C’est une réalité sur le terrain, elle va s’amplifier.
Dans tout cela nous demeurons des pasteurs, avec la triple mission que je rappelle :
- 4. Les prêtres, ministres de la Parole de Dieu : l’évangélisation
- 5. Les prêtres, ministres des sacrements et de l’Eucharistie : la sanctification
- 6. Les prêtres, chefs du Peuple de Dieu : le gouvernement
Sur l’articulation de ces 3 missions, j’aime citer l’exhortation du pape François sur l’Amazonie : Querida Amazonia, 2 février 2020. § 87 : il est important de déterminer ce qui est spécifique au prêtre, ce qui ne peut pas être délégué. La réponse se trouve dans le sacrement de l’Ordre sacré qui le configure au Christ prêtre. Et la première conclusion est que ce caractère exclusif reçu dans l’Ordre le rend capable, seulement lui, de présider l’Eucharistie. C’est sa fonction spécifique principale et qui ne peut être déléguée. Certains pensent que ce qui distingue le prêtre est le pouvoir, le fait d’être l’autorité suprême de la communauté. Mais saint Jean-Paul II a expliqué que, même si le sacerdoce est considéré comme “hiérarchique”, cette fonction n’équivaut pas à le mettre au-dessus des autres, mais l’ordonne « totalement à la sainteté des membres du Christ ».
§ 94 : là où il y a des besoins particuliers, l’Esprit a déjà répandu les charismes qui permettent de leur donner une réponse. Cela demande à l’Église une capacité d’ouvrir des chemins à l’audace de l’Esprit, pour faire confiance et pour permettre de façon concrète le développement d’une culture ecclésiale propre, nettement laïque. Les défis de l’Amazonie exigent de l’Église un effort particulier pour assurer une présence capillaire qui est possible seulement avec un rôle important des laïcs.
Le pape indique que sur les trois missions traditionnelles : annoncer – sanctifier – gouverner. C’est la troisième qui peut connaitre les aménagements en fonction des circonstances.
Pour avancer, je pense qu’il nous faut essayer de sortir de cette tension immédiate que provoque la problématique du pouvoir. On peut disserter à l’infini sur cette tension entre service et pouvoir. Nous avons reçu de par notre ordination un réel pouvoir, mais nous devons le vivre profondément comme des serviteurs. Nous le savons bien.
Est-ce que confier davantage de responsabilités aux laïcs ne va pas nous déposséder ?
La question est mal posée mais inconsciemment elle demeure. L’idée force est de renvoyer chacun à la profondeur de ses charismes, de ses talents et de son état de vie.
Les fidèles laïcs, les diacres, les religieux ne sont pas des concurrents, nous devons articuler le sacerdoce ministériel et le sacerdoce baptismal.
Ce sont des questions que vous portez depuis des années. Ce sont aussi des années de pratiques ordinaires dans le diocèse. Reconnaissons que les chosent se passent globalement de façon harmonieuse.
Dans ces questions, comme dans tant d’autres, un retour aux sources dans la simplicité s’impose.
Je voudrai ce matin vous donner des points de réflexion sur ce qui me semble essentiel pour le ministère des prêtres pour les années qui viennent dans la vie de notre diocèse.
Il ne s’agit pas pour moi de présenter ce qu’est le ministère des prêtres. Vous le savez, vous le vivez, de plus les textes du magistère existent, de bons traités de théologie aussi !
Mais il s’agit de pointer pour notre diocèse, dans le cadre de notre conversion pastorale des accents prioritaires.
En vous parlant, je reprendrai quelques éléments donnés dans la lettre que je vous ai adressée en novembre dernier suite à l’exhortation du pape François : c’est la confiance.
Je dégage 5 points de repère :
1. Vivre entre prêtres une vie fraternelle et spirituelle
2. Choisir le parti pris de la mission
3. Collaborer avec les autres acteurs pastoraux
4. Porter le souci des plus fragiles
5. Manifester notre compassion au monde en attente
- 1. Vivre entre prêtres une vie fraternelle et spirituelle
Nous en avons parlé hier, elle est déterminante. Le concile dans Presbyterorum ordinis explique assez clairement la diversité en ce domaine. Les réalisations peuvent prendre bien des formes suivant les besoins personnels ou pastoraux : cohabitation là où c’est possible, communauté de table, ou tout au moins réunions fréquentes et régulières.
Ce sont des questions auxquelles vous réfléchissez, continuez.
Nous faisons tout au niveau du Conseil épiscopal et avec M. Poichotte avec le C.D.A.E. pour faire en sorte que ces conditions soient réunies : logements, des bureaux d’accueil... Ici il y a un aspect financier à considérer.
Il y a aussi un aspect volontariste, il faut que nous prenions la mesure de la nécessité de cette vie fraternelle et spirituelle. La plupart des prêtres qui décrochent sont isolés. En même temps, chacun doit être respecté dans ses désirs et ses capacités.
A cette vie fraternelle, j’ajoute la vie spirituelle, à mes yeux les deux sont indissociables.
Je vous invite à prier ensemble, à célébrer ensemble, à méditer ensemble.
P.O. 12 : Ce qui ordonne leur vie à la perfection, ce sont leurs actes liturgiques de chaque jour, c’est leur ministère tout entier, exercé en communion avec l’évêque et les autres prêtres. Par ailleurs, la sainteté des prêtres est d’un apport essentiel pour rendre fructueux le ministère qu’ils accomplissent ; la grâce de Dieu, certes, peut accomplir l’œuvre du salut même par des ministres indignes, mais en général, Dieu préfère manifester ses hauts faits par des hommes dociles à l’impulsion et à la conduite du Saint-Esprit, par des hommes que leur intime union avec le Christ et la sainteté de leur vie habilitent à dire avec l’apôtre : « Si je vis, ce n’est plus moi, mais le Christ qui vit en moi » (Ga 2, 20).
P.O. § 18 : À la première place parmi ces moyens de développer la vie spirituelle, se situent les actes par lesquels les chrétiens se nourrissent de la Parole de Dieu aux deux tables de l’Écriture Sainte et de l’Eucharistie ; personne n’ignore l’importance de leur fréquentation assidue pour la sanctification des prêtres. Est-ce que nous parlons suffisamment de cette dimension du ministère entre nous ?
La dimension vocationnelle de ces attitudes est évidente. Un jeune ne désirera devenir prêtre que s’il se sent accueilli par un corps sacerdotal fraternel, fervent et uni.
Dans ce domaine, n’idéalisons pas. Lorsque Sainte Thérèse évoque la vie communautaire dans son carmel à Lisieux, on voit qu’elle ne vit pas dans un carmel virtuel ou idéal. Elle vit dans le carmel de Lisieux où le Seigneur l’a envoyée, avec toutes ses limites, les siennes et celle du carmel.
On doit aussi, cela, est moins évident, y adjoindre la dimension de formation théologique, et intellectuelle. Des choses existent au niveau provincial, ainsi que la retraite annuelle.
Des sujets sont d’actualité, il nous faudra les reprendre, tels le sacrement du pardon ou l’accompagnement spirituel. Cf. Conseil presbytéral.
- 2. Choisir le parti pris de la mission
L’évangélisation fait partie de la mission essentielle des prêtres.
Là encore P.O. est explicite : les prêtres, comme coopérateurs des évêques, ont pour premier devoir d’annoncer l’Évangile à tous les hommes ; ils exécutent ainsi l’ordre du Seigneur : « Allez par le monde entier, prêchez l’Évangile à toute la création » (Mc 16, 15)
Choisir le parti pris de la mission est une bonne formule.
- Nous aurons la joie de fêter en 2027 le 100e anniversaire de la reconnaissance de Thérèse comme patronne des missions.
Je vous invite ici à une réflexion commune, entre nous et avec les fidèles sur ces mots de mission, d’évangélisation.
C’est un exercice que nous avons vécu à Lourdes lors de l’Assemblée Plénière du mois de novembre.
- Il y a eu en octobre dernier le beau rassemblement Kerygma.
- Le livre du cardinal Aveline.
J’aimerai que nous puissions approfondir cette question.
Pour ma part, je suis marqué par une relecture récente de l’encyclique de Paul VI Ecclesiam Suam, un texte où le Saint pape Paul VI invite à entrer avec le monde dans un dialogue de salut. C’est au cœur de cette attitude dialogue, qu’il faut bien comprendre et approfondir, qu’il écrit au § 66 de son encyclique : 66 - Si vraiment l'Eglise, comme Nous le disions, a conscience de ce que le Seigneur veut qu'elle soit, il surgit en elle une singulière plénitude et un besoin d'expansion, avec la claire conscience d'une mission qui la dépasse et d'une nouvelle à répandre. C'est l'obligation d'évangéliser. C'est le mandat missionnaire. C'est le devoir d'apostolat. Je reviendrai tout à l’heure sur la question de notre rapport au monde.
- 3. Collaborer avec les autres acteurs pastoraux.
Voilà un des enjeux des années à venir. Il s’impose de façon particulière dans le temps de pénurie de prêtres qui est le nôtre, mais il doit surtout être un mode ordinaire et paisible de la vie ecclésiale. Autrement dit, même si le séminaire de Caen était plein, ce que l’on peut souhaiter, cette collaboration devrait exister.
On peut facilement repérer les types d’acteurs qui œuvrent avec nous :
- Pour tous : les fidèles laïcs
- Pour certains : les diacres
- Pour certains : la vie religieuse.
Ce mois de février je les ai tous rencontrés :
- Pour les fidèles c’est le C.D.P.
- 2 février / vie religieuse et consacrée.
- 10 février / les diacres.
C’est tout l’enjeu de la coresponsabilité auquel s’adjoint celui de synodalité.
Je sais et j’entends les critiques que certains dans l’Église portent sur ce synode. Je peux parfois les partager sur la forme mais aucunement sur le fond.
Je crois que fondamentalement c’est l’Eprit Saint qui dirige l’Eglise est qu’il est envoyé sur tous. Le sensus fidei du peuple de Dieu n’est pas pour moi un gadget. Il n’enlève rien à la structure hiérarchique de l’Eglise.
Un beau texte de la C.T.I. de 2014 sur le Sensus Fidei introduit par le père Serge Thomas Bonino (OP) : Certes, depuis Vatican II, qui a remis en valeur la participation de l’ensemble du peuple chrétien, clercs et laïcs, à la fonction prophétique de Jésus-Christ, la référence au sensus fidei est très présente dans l’enseignement de chacun des papes qui se sont succédés sur le siège de Pierre. Ils s’inquiètent parfois de ses contrefaçons mais ils en soulignent surtout l’importance décisive pour la vie de l’Eglise. Benoit XVI avait même fait de l’attention au sensus fidei, spécialement à la « sagesse des saints », un leitmotiv de ses discours aux théologiens. Il les y invitait à se mettre humblement à l’écoute de la foi vécue des tout-petits, ceux à qui il a plu au Père de révéler ces mystères du Royaume qu’il a par ailleurs cachés aux sages et aux intelligents (cf. Mt 11, 25).
Voilà aussi un thème que nous pourrions approfondir.
Pour en revenir au synode, on a parfois dit qu’il manquait au synode : les jeunes, les pauvres et les prêtres.
Pour vous prêtres.
Vous êtes les pasteurs, la structure de base reste la paroisse. Le CIC est ici très clair.
Can. 519 - Le curé est le pasteur propre de la paroisse.
Le concile aussi §6 : Pour exercer ce ministère, comme pour les autres fonctions du prêtre, ils reçoivent un pouvoir spirituel, qui leur est donné pour l’édification de l’Église.
Il faut que les fidèles prennent à la fois la mesure de cette structure hiérarchique, mais prennent la mesure de la place qu’ils doivent tenir.
Dans cette place laissée aux fidèles laïcs notre rôle s’impose : §9 : ils découvriront et discerneront dans la foi les charismes des laïcs sous toutes leurs formes, des plus modestes aux plus éminents, ils les reconnaîtront avec joie et les développeront avec ardeur.
Deux beaux exemples dans notre diocèse : la pastorale des jeunes, le catéchuménat
Nous réfléchissons depuis des mois aux différentes instances qui vont réguler tout cela.
Elles seront 4 : conseil paroissial - l’équipe d’animations des communautés locales – l’assemblée paroissiale - l’équipe de doyenné … + le conseil économique.
Il faut que ce soit des lieux de prière, de réflexion, de discernement.
Je serai plus bref sur les deux derniers points je n’ai pas eu le temps de les rédiger, mais ils me semblent indispensables.
- 4. Porter le souci des plus fragiles
C’est un vrai sujet. Nous avons là un critère infaillible d’ecclésialité.
On connait bien l’expression du pape François qui veut une Église pauvre pour les pauvres.
Je pense que nous avons des efforts à faire. Dans notre diocèse, par exemple, il n’y a pas de conseil diocésain de la solidarité ou de la diaconie.
Il faudrait dans chaque paroisse des référents qui portent ce regard et cette attention.
Sans faire de la sociologie de comptoir, je suis frappé de l’écart qui existe entre le type de population qui constitue majoritairement nos assemblés et le type de population des catéchumènes.
- Un rapport au monde rempli de compassion.
C’est, à mes yeux, une question de fond. Nous sommes dans un monde qui n’est plus chrétien, comment lui annoncer l’évangile ? Le préalable doit être celui de la compassion. Non pas dans un sentiment de supériorité ou de condescendance, mais dans une réelle compassion.
Je cite deux exemples :
- Je vous avoue avoir été choqué par certaines réactions de chrétiens après Fiducia Suplicans. Certes le texte est très maladroit et pose beaucoup de questions. Mais la question était, à mes yeux, d’abord de savoir comment nous accueillons les personnes homosexuelles. Je ne simplifie pas les questions mais je donne plutôt une orientation générale
- Dans un autre domaine, je suis saisi par des personnes qui veulent fonder des écoles hors contrat. Je dis d’emblée que j’accueillerai ces initiatives avec bienveillance. Mais je prendrai le temps de mettre au clair les motivations des demandeurs. Le risque pour moi étant de se replier dans un entre soi où le rapport au monde risque de manquer de miséricorde. Je ne suis pas naïf, je ne sous-estime pas les difficultés pour les parents d’éduquer leurs enfants dans un contexte parfois très hostiles. Mais l’image, là encore du pape François d’une Eglise qui peut parfois ressembler à un hôpital de campagne me semble à approfondir.
Pour vous faire sourire, je vous donne ici une citation d’une personne qui parlant de l’éducation des enfants dénonçait à son époque : la décadence dont nous sommes aujourd’hui les témoins terrifiés. C’est Céline Martin, la sœur de Sainte Thérèse qui parle de l’éducation au début du XXe siècle !
Voilà ces 5 appels, ils ne résument pas la vie et le ministère des prêtes. Mais ce sont 5 domaines sur lesquels je vous invite à réfléchir.
+ Jacques HABERT, évêque de Bayeux et Lisieux
Lisieux, 22 février 2024