La Crèche vivante

(Inspiré d’Eloi Leclerc : « le soleil se lève sur Assise »).

 

Décembre 1223. Un grand désir s’empara de François : célébrer de manière sensible Noël, en reconstituant la crèche vivante. « Je veux évoquer le souvenir de l’Enfant qui naquit à Bethléem, je veux le voir, de mes yeux de chair, tel qu’il était, couché dans une mangeoire et dormant sur le foin, entre un bœuf et un âne ». Cette idée neuve et naïve avait germé soudain dans son cœur, mais elle exprimait tout son être. C’était en vérité, une idée extraordinaire, géniale, comme seuls les poètes peuvent en imaginer : voir et faire voir, avec des yeux d’enfant, l’événement du salut, Dieu dans son avènement de douceur. Rien n’était plus important pour l’avenir du monde. Dans une société de marchands, dominée et divisée par l’argent, il était nécessaire de redécouvrir la pauvreté de Dieu. Dans un monde de clercs assoiffés d’honneurs et de grandeurs, il était urgent de revenir à l’humilité de Dieu. Dans un monde de guerres saintes, il fallait retrouver la tendresse de Dieu, l’Enfant-Dieu. Et où pourrait-on mieux accueillir l’Enfant que dans le petit village de Greccio, parmi les gens simples et pauvres de la montagne ?

« Le jour de l’allégresse approcha, le temps de l’exultation advient » nous dit Thomas de Celano, son biographe. Il poursuit en disant que « François passa la veillée debout devant la crèche, brisé de compassion et rempli d’une indicible joie », comme s’il voyait réellement l’Enfant Jésus couché dans la mangeoire. « Voir » et « faire voir » le très haut Fils de Dieu, naissant au monde dans l’humilité et la pauvreté d’une crèche entre des animaux, rien n’était plus important pour l’avenir du monde. François, d’une « voix vibrante et douce, claire et sonore » annonçait l’heureux événement aux gens présents et aussi à tous les autres. Il « réinventait » Noël, retrouvait l’humanité de Dieu, la tendresse du Dieu vivant.

Il connut cette nuit-là un long moment d’extase. Il voyait toute la création avec Dieu dans un mystère profond. Tout ce qui vivait avait été voulu pour cet instant unique, pour cette communion à la vie divine dans l’Enfant-Dieu.

La vie divine n’était donc pas à chercher hors des fragilités de la vie humaine et de ses enracinements obscurs, hors de la création matérielle. Dans l’Enfant divin, tout se retrouvait. Ce qui était caché devenait visible. Le sens du monde éclatait. L’unité de la création se révélait. C’était une épiphanie de lumière. On ne pouvait accueillir la vie divine sans respecter toute vie : la vie humaine bien sûr, mais aussi toutes formes de vie, en fraternité avec toute créature. Et le chemin de cette communion et de cette fraternité était l’humilité de la crèche, cette humilité originelle qui nous rapproche des plus humbles créatures, cette proximité et cette douceur qui nous font réintégrer le vaste cercle de la création. Avec le bergers, nous pouvons tous dire « Aujourd’hui nous est né un Sauveur ! ». La Création tout entière, avec ses plus humbles créatures, devient le « berceau divin ». Jésus, devenu Christ à la résurrection, assume totalement le destin de l’homme qui prend racine dans la nature animale, devient humain pour s’élever jusqu’à la divinité (Jung). Alors, il y a réconciliation de l’homme avec ses forces obscures, transfiguration de l’agressivité et de la libido car Christ est descendu dans nos profondeurs et nos obscurités en vivant notre condition humaine. « Voyez l’humilité de Dieu » disait François à ses frères.

L’Enfant divin naît partout où il y a des hommes assez humbles pour se reconnaître frères les uns des autres et de toute créature. François fut le poète de l’humanité de Dieu et en même temps, celui de la fraternité humaine, il redécouvrait un monde dans lequel « le Dieu de majesté devenu notre frère » se laissait désormais rencontrer dans la relation fraternelle.

La Crèche vivante.
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